par | Fév 8, 2023 | Interview

Welcome to bboy Lilou.

Ali Ramdani, très connu sous le nom de bboy Lilou a marqué tous les esprits, les plus cartésiens comme les plus tordus, du monde du breaking international. Originaire de Vaulx-en-Velin, nous sommes allés le rencontrer chez lui, dans sa ville qui l’a forgé d’un alliage de caractère trempé et de sympathie inoxydable.

BREAKERS : Peux-tu te présenter s’il te plait ?
Je m’appelle Lilou, j’ai grandi et je vis à Vaulx-en-Velin. Je suis multiple champion du monde de breaking, globe-trotter, bon voyageur… grosse tête du break quoi.

BREAKERS : Donc là on est à Vaulx-en-Velin, c’est un quartier de Lyon qui a beaucoup fait parler de lui, surtout dans les années 1980-1990, c’étaient les années de ta jeunesse.
En 1990 il y a eu une bavure policière dans le quartier, et ça a donné naissance aux premiers mouvements de contestations urbains. J’avais six ans, j’ai vu tous ces soulèvements avec mes petits yeux. Tout le quartier s’est rebellé, tout était en feu, ça a duré au moins quinze jours. Ça a fait la réputation de notre quartier.

BREAKERS : Et toi, tu en as quels souvenirs ?
Quand tu as 6 ans et que tu vois une vingtaine de mecs cagoulés passer devant toi en courant, coursés par la police, dans un décor de voitures brûlées, et que tu es au milieu de tout ça, ça te grave des images à vie. En même temps, ça avait un côté excitant. Et puis à 6 ans tu ne te poses pas de question, la frontière entre le bien et le mal n’est pas très claire. Et surtout, quand tu nais là-dedans, tu te dis que c’est partout pareil sur terre, que c’est juste la vie. C’est en grandissant qu’on comprend que c’est uniquement en banlieue que ça se passe comme ça. Ce n’est pas pour autant que je quitterai Vaulx-en-Velin.

Ici, à Vaulx-en-Velin, on est chez nous, on est entre nous, ça déchire. 


“J’ai fait 12 ans de kung-fu. J’ai donc été éduqué au respect, à l’obéissance et à toutes ces notions. A 16 ans, j’étais ceinture noire.”

BREAKERS : Tes parents, eux, sont arrivés en France vers les années 1970. Quelle a été leur réalité en arrivant dans ce quartier déjà socialement mouvementé ?
Dis-toi que quand tu viens d’une montagne en Algérie, que tu es fermier et que tu arrives en France, peu importe où tu arrives, l’objectif est atteint. Ensuite, certes mon père est arrivé dans un quartier, mais en même temps heureusement, car il a pu être entouré de personnes qui parlaient la même langue que lui. Il a ensuite travaillé pendant deux ans pour pouvoir payer un billet d’avion à ma mère et ma sœur et commencer une nouvelle vie. Tu vois le bonhomme !

BREAKERS : Les valeurs de travail, de disciplines doivent donc être très ancrées dans ta famille, dans l’éducation que tu as eue. C’est de là que tu tiens ton mental d’acier ?
C’est vrai que dans ma famille, on a connu la valeur du travail et de l’argent très tôt. Ça nous a forgé, ça nous a mis dans le droit chemin directement. Surtout quand tu vois que tous tes potes partent en cacahuète, l’un trafique, l’autre est en prison… 

Dans ma fratrie, nous avons également été éduqués au sport. Ça nous occupait après les cours, ça nous évitait de traîner. Ça nous disciplinait beaucoup aussi. J’ai fait 12 ans de kung-fu, donc j’ai été éduqué au respect, à l’obéissance et à toutes ces notions. A 16 ans j’étais ceinture noire. 

BREAKERS : Par curiosité, tu es un peu connu comme étant « le petit à lunettes », tu n’as jamais reçu de critiques particulières qui t’auraient poussé à te forger un tel mental ?
J’ai reçu des taquineries si, mais comme tout le monde, c’est normal quand t’es gamin. Je n’ai jamais reçu de méchanceté gratuite. A vrai dire, j’étais plutôt un petit leader, je n’ai jamais été un suiveur.
Et puis surtout, on avait tellement tous des dégaines différentes. On se foutait de la mode car on n’avait pas de sous. J’avais des gros verres de lunette parce que c’est ce qui coûtait le moins cher, on allait à l’école en pyjama. La seule mode qui dure depuis le temps, c’est Lacoste et AirMax. 

BREAKERS : Il y a des choses qui ne changent pas ! Toi et Lacoste c’est une grande histoire n’est-ce pas ? 
Ah oui, mon style n’a pas changé depuis des années. On s’habille comme ça dans les quartiers, c’est un symbole de réussite, car Lacoste ça coûte cher. Maintenant c’est une marque que mettent les jeunes de cité, ça a changé de clientèle. C’est l’histoire de la mode, les grandes marques signent des contrats avec des artistes musicaux issus de la culture urbaine, car ce sont eux qui font le plus d’audience aujourd’hui. Donc la rue s’approprie les marques.  

BREAKERS : Parlons un peu de danse, de break. Où l’as-tu rencontré ? A quel âge ?
Ici, à Vaulx, à l’âge de 6 ans. Au début ce n’était pas tout à fait du break, c’était la hype. Le grand écart américain, la wave etc. A l’école primaire j’essayais de faire des saltos dans le bac à sable aussi. Voilà, c’était peut-être un éveil.
Ensuite, à mes douze ans j’ai réellement pris goût au break. Un jour, j’étais en train de jouer au foot dans le quartier et j’entends du son sortir de la salle polyvalente. Je m’en approche et je vois des gars tourner sur la tête. J’ai dit que je voulais aller apprendre ça, et ils m’ont invité dans leur salle. Au bout d’un mois j’avais quelques tours de coupole, de thomas etc. Ça a commencé comme ça. Deux ans après, ces gars-là ont arrêté et moi jamais. 

BREAKERS : Donc tu as continué de ton côté. On est à peu près vers 1999, l’année où a commencé à se former Pockémon crew ?
Oui, nous avons créé ce groupe avec Georges et Salim. C’était vraiment notre initiative de monter un groupe Lyonnais car il y avait plein de danseurs à Lyon mais aucun crew pour nous représenter. J’étais le plus petit du groupe.

Le nom du groupe fait naturellement référence au jeu, qui était très à la mode à l’époque. Genre le générique disait « attrapez les tous », on s’identifiait aux Pokémons car on était nous aussi des petits monstres avec nos formes et couleurs différentes. En plus on était jeunes, donc ça collait parfaitement.
Je me rappelle du premier battle qu’on a fait sous ce nom. C’était Total Session 2, en 1999 à Grenoble, on était tous petits avec un blaze à notre image alors que la mode à cette époque c’étaient les blazes de supers-vilains genre « Rock Force », « Vagabonds », « Phase T (pour phase terminale) » …  Et nous, Pockémon, on arrive, on est tout petits, on a des grosses lunettes, et on défonce tout le monde. 

BREAKERS : Pour revenir un peu sur la ville de Lyon, aujourd’hui le break Lyonnais a sa réputation. On peut facilement l’associer à un vrai lifestyle.
Complètement, nous les Lyonnais on a toujours notre propre style. Et je ne parle pas que de break, mais à tous les niveaux, on est des Lyonnais quoi !

BREAKERS : Tu as déjà essayé de définir ce lifestyle ? De mettre des adjectifs dessus ?
Pas vraiment. Mais déjà, on aime rester entre nous, on n’aime pas trop se mélanger, tout le monde est un ennemi par défaut. Quand on arrivait en battle, on arrivait à vingt et on restait entre nous. On n’a jamais voulu faire comme les autres. 

Après, au niveau de la danse, on ne connaissait pas tout ce qui était flow etc. Nous on était dans la performance, il fallait que ça fasse le show, des powermoves, des techniques chelou. On n’est pas la capitale, on n’avait pas beaucoup d’informations, mais on était quand même des bboys. A l’heure actuelle, c’est comme si tu vas dans une région éloignée du Brésil et que tu vois des mecs ne faire que des saltos et des powermove. Ce n’est pas blâmable, c’est leur manière de le vivre dans leur contexte. 

BREAKERS : Moi j’ai l’impression qu’à Lyon, l’approche du break est très freestyle, caractérielle. Il y a énormément de danseurs très prometteurs, très forts qui arrêtent la danse lorsqu’ils ont des responsabilités professionnelles ou familiales, car ils ont associé le break à une période de leur vie qui était freestyle. Du coup, dès qu’ils entrent dans une période à responsabilité, ça ne colle plus avec leur style de vie.
C’est exactement ça. On les appelle les talents gâchés ici car ils ont un potentiel fou mais n’arrivent pas à faire carrière. L’indiscipline lyonnaise est là depuis des années, et moi, en termes de transmission, j’éduque la nouvelle génération à garder ce comportement indiscipliné dans le break. Quand je parle à des jeunes comme Pac Pac ou autre, je leur dis qu’ils sont des exemples même du break Lyonnais, et ça fait plaisir. C’est la culture locale, on est fiers de notre style désinvolte. 

BREAKERS : Et ça vient d’où ce style indiscipliné ?
Tu aurais dû venir voir nos entraînements à l’Opéra dans les années 2000, c’était chaotique. L’Opéra de Lyon est en plein centre-ville. Tous les mecs de banlieue Lyonnaise venaient s’entraîner là-bas, accompagnés de tous les cas sociaux du centre-ville qui campaient à l’Opéra, des ivrognes etc. En gros, c’était tellement le bordel qu’on se battait déjà pour exister sur ce sol. 

Ça a duré des années, même quand je m’entrainais pour les BC One 2009/2010 j’étais obligé de me prendre la tête fréquemment avec des gars pour me faire ma place. C’est constamment la guerre.

BREAKERS : C’est clair que ça doit forger un caractère différent, plus impulsif que les bboys qui s’entraînent de manière très disciplinée dans des salles .
Personnellement je déteste m’entraîner dans les salles. En 2003, avec Pockémon, quand on est devenus champions du monde, on a signé une convention de 10 ans avec l’Opéra pour pouvoir s’entraîner librement dans leur salle. Pour bosser nos créations, nos battles en crew et tout c’était parfait. Mais quand je préparais des compétitions en solo, il fallait que je sois en bas, sur le parvis, il fallait que je sois entouré de cette énergie qui nous caractérise. On appelait ça « La France d’en bas ».
On s’est éduqué à l’arrache, le luxe et le confort ne nous va pas, ce n’est pas nous. 

BREAKERS : En 2002, 2003, tu as environ 17/18 ans et j’imagine que tu ne penses qu’au break. Tes proches en pensent quoi ?
Le deal avec mes parents était qu’il fallait que je ramène au moins le BAC. Je ne me voyais pas faire de grandes études car j’aimais beaucoup trop le break, et que des opportunités commençaient à se présenter.  

En 2002, avec Pockémon on est vice-champion de France. En 2003 nous sommes champions de France, puis champion du monde. Ensuite tout s’est enchaîné, on était programmé pour quelques shows, j’avais des petites rentrées d’argent, je faisais quelques voyages, je m’assumais. Même si j’avais arrêté l’école, je ne trainais pas dans le quartier, donc pour mes parents c’était ok. Et puis 5 mois après avoir eu mon BAC, j’ai ramené la ceinture du Red Bull BC One, ça a été ça mon diplôme. Les voyages se sont intensifiés, les demandes de jurys etc. 

BREAKERS : Avant de continuer sur ta carrière solo, peut-on faire le point sur la relation Lilou – Brahim ?
Ahhh oui, c’est un duo de fou ça. On s’est rencontré à l’Opéra en 2001/2002. Brahim, c’est un surdoué. Tout ce qu’il a appris, il l’a appris en 3 essais. Il passait beaucoup de temps à l’entrainement mais il s’entraînait très peu. Toi, quand tu bosses un mouvement, tu le bosses vraiment durement, alors que lui, il essaie et il y arrive. 

Donc on s’est rencontré à l’Opéra, il venait d’un autre quartier. Quand je l’ai vu pour la première fois, il avait déjà tous les grands powermoves de l’époque, coupole, nineteen, thomas etc. Je me suis demandé qui était ce gamin quoi, et lui a eu ce sentiment réciproque lorsqu’il m’a vu. Donc on a commencé à se lier d’amitié très vite. C’était mon meilleur pote, il a intégré Pockémon dans la foulée. 

BREAKERS : Et après vous êtes devenus un duo légendaire.
Oui, on est devenu imbattables car on se connaissait par cœur. Il y avait en fait une compétition positive entre lui et moi. C’est-à-dire qu’à l’entrainement, il faisait un truc et il fallait que je fasse mieux que lui, et ainsi de suite. Je faisais un move à ma sauce, il me disait « Ah batard ! » et essayait de faire mieux. Et on a gardé ce truc en battle. Lorsqu’on faisait des 2 vs 2, les gens ne le savaient pas mais on ne dansait pas contre les adversaires, on dansait l’un contre l’autre, même si on était ensemble. Genre, lorsque moi je faisais un passage qui avait tout déchiré, bah lui me disait « Ah ouais tu as fait lever le public ? Bah tu vas voir », et il attaquait son passage avec cet état d’esprit. On ne prêtait aucune attention aux adversaires. 

Pour imaginer réellement ce qui se passait, je vais vous raconter une anecdote. Lorsqu’on est parti en Corée pour le Freestyle Session, Brahim est venu avec un ballon de foot dans son sac. Tous les jours on était en bas de l’hôtel en train de jouer au foot alors que tous les autres danseurs s’entrainaient. Nous on sortait en boîte le soir, on revenait à 6h30 du matin alors que les compétiteurs prenaient leurs petits déjeuners. J’avais 21 ans et Brahim 19 ans.
Le jour du battle 2 vs 2, on arrive dans le gymnase dans lequel se déroulait la compétition. Tout le monde s’entrainait, s’échauffait , et moi et Brahim on était chacun d’un côté du gymnase et on se faisait un « cage à cage » avec le ballon. Je m’en rappelle comme si c’était hier, tous les bboys étaient au centre en train de cercler et nous on faisait des grands tirs qui traversaient le gymnase. Et là on entend : « Yo, yo, Pockémon crew, next battle ». C’était à nous ! Brahim range le ballon, on va au battle et on gagne la compétition. On récupère le trophée, on retourne prendre nos affaires et on ne trouve plus le ballon. Ils avaient volé le ballon !

J’en ai beaucoup des histoires comme ça où on ne s’entraînait pas avant le battle, on s’amusait, et on gagnait. On était dans notre monde, on était imbattables, et on le savait.
Le battle très connu, Pockémon vs Gamblerz. Quand le speaker a annoncé qu’on était contre Gamblerz on a crié « Ouais ! », on était trop contents car on savait qu’on allait les démonter. 

BREAKERS : Donc quand vous étiez ensemble, vous n’aviez jamais la pression du battle ?
Avec lui, jamais. On était tellement bien ensemble. 

Devant nous on a tout vu, on a eu Kaku qui a mis 18 tours de 2000 au Chelles Battle Pro 2007, j’ai eu Physicx qui m’as mis 12 tours sur les coudes, mais on gagnait ! Plus rien ne pouvait nous choquer !

On a été un des duos légendaires du break international, un classique. 

BREAKERS : Dans ta carrière solo, en 2005, tu es appelé pour le Red Bull BC One ? C’est une surprise ?
Petite surprise oui, c’était cool. A l’époque ce n’était pas encore un gros battle, ce n’était que la 2nde édition d’un battle un peu commercial on va dire. C’était l’une des premières fois qu’une grosse marque investissait dans un battle de break. Donc c’était une grande surprise d’être invité dans cette line-up, qui était quand même conséquente, mais ce n’était pas le battle de l’année !

J’étais en pleine montée dans ma carrière solo, et on a été invité avec Brahim. C’est ça qui a fait que j’ai gagné d’ailleurs.

BREAKERS : Comment ça ?
Je m’étais énormément entraîné pour cette compétition, je m’étais fait remarquer à l’IBE et autres gros battles. La line-up était super. Je me suis blessé 2 jours avant le battle, à l’entraînement en faisant clash – remontée main. Je me suis cassé le doigt, j’ai fini à l’hôpital. Les médecins m’ont interdit de danser, de poser la main.
Mais là, au Red Bull BC One, c’était la première fois qu’on était payé pour danser, c’est-à-dire que même si on ne gagnait pas, on repartait quand même avec 1000€. Et moi, qui n’avait que la danse comme source de revenu, je me suis dit que j’allais quand même danser pour prendre mes sous. Je m’en foutais de toute manière.
J’arrive au premier tour, et je remporte le battle contre Physicx. Je me suis dit « Ok, alors on va jusqu’au bout, si j’ai pu sortir Physicx, je peux sortir tout le monde. J’ai enlevé mon atèle, ma plaque en métal. Mes doigts étaient tous bleus. J’avais le soutien de Brahim derrière moi, qui avait perdu au premier tour. J’ai sorti tout le monde et j’ai remporté la ceinture.

Le soutien de Brahim a beaucoup contribué à cette victoire. Mais aussi, je m’étais énormément entraîné pour ça. Je me suis toujours entraîné des mois à l’avance lorsque j’avais des grosses échéances en solo. J’ai toujours été très rigoureux là-dessus.  

“C’était chaotique, on se battait pour exister sur ce sol.”

BREAKERS : Et du coup, tu peux nous raconter cette histoire du trophée du Red Bull BC One ? Où est la ceinture ?
Bah chez moi, j’aurai dû la ramener !

BREAKERS : Elle n’est pas chez ta grand-mère en Algérie ?
Non, elle a toujours été à Vaulx ! En fait, lorsque je l’ai remportée, j’étais super content, c’était un vrai bel objet qui avait une valeur importante. Donc je l’ai ramenée chez moi et quelques mois après, Red Bull m’appelle pour leur rendre la ceinture, comme en boxe où les vainqueurs rendent la ceinture après quelque temps pour la rejouer.

Sauf que moi, qui ait toujours été un petit rebelle, je me suis dit : C’est Red Bull, ils ont de l’argent, ils n’ont qu’à en refaire une autre ! Jamais de la vie je ne leur rends la ceinture. Je leur ai dit que j’avais donné la ceinture à ma grand-mère, qui vit dans un village dans les montagnes en Algérie.
Mes relations avec Red Bull les années qui ont suivi n’ont pas été très bonnes. De 2005 à 2008 les trophées n’étaient pas des ceintures, car ils espéraient que je ramène la mienne. Puis en 2009, pour l’édition qui se déroulait à New York, ils ont décidé de rétablir la tradition et de réinstaurer la ceinture. Du coup j’ai décidé de reparticiper. J’ai gagné cette édition, et j’ai ramené la seconde ceinture à la maison. Mais au moins maintenant, il y a une ceinture par année !

Les 2 premières ceintures de l’histoire sont à la maison !

Cette victoire était très importante pour moi car elle allait faire de moi le premier bboy à remporter 2 fois le Red Bull BC One, ça allait me booster et m’assurer un peu de sécurité professionnellement et financièrement.

BREAKERS : Lors de ce Red Bull BC One, à New York, tu portais ce T-shirt « I’m muslim, don’t panic ». C’était une image très forte, surtout aux Etats Unis quelques années après les attentats. Tu as toujours revendiqué tes origines en battle.
J’ai toujours marqué mon appartenance à ma communauté, à mes origines. Tout le monde parle de mon T-shirt au BC One à New York, mais bien avant cela je venais déjà en battle avec un turban. En 2007 j’ai fait le BC ONE en représentant l’Algérie, pas la France. 

Je me suis beaucoup inspiré du rap, qui est très revendicateur, qui prend position sur beaucoup de sujets. Un rappeur utilise sa voix pour combattre, moi j’utilisais ma danse, mon style. Lorsque j’ai fait le BC One en 2007, je l’ai fait avec un T-shirt sur lequel était écrit « Africa is the future ». Directement j’avais le public dans ma poche. J’ai compris très tôt qu’il fallait jouer de son image, de sa personnalité, de qui je suis.

BREAKERS : Et après ça tu as eu une grande carrière internationale ?
Oui, j’ai enchaîné les grosses expériences. Ma plus grosse expérience a été de chorégraphier une partie de la tournée de Madonna. Moi, petit jeune du quartier, je me suis retrouvé aux Etats-Unis avec Brahim, à faire partie d’une grosse production américaine. Les moyens étaient démesurés. J’ai aussi dansé au Super Bowl, toujours pour Madonna qui est une artiste culturellement incroyable. 

BREAKERS : Comment as- tu appréhendé ces changements de mode de vie, ces expériences ? Tu as dû avoir beaucoup de critiques de la part de ton public suite à ces choix.
Normalement, sans stress, sans rien changer. Je suis dans le réel, j’ai toujours été attaché à mes valeurs, et j’ai toujours su ce qui était important pour moi. Je n’ai jamais calculé les gens qui m’ont critiqué, que ce soit dans le break ou dans d’autres milieux. J’écoutais ce qui se disait, mais ça ne m’affectait pas. Au contraire, qu’on parle de moi en bien ou en mal, tant mieux, ça me fait de la pub gratuite !

BREAKERS : Aujourd’hui, on te voit beaucoup avec ta nouvelle structure, « Street Off ». On te voit énormément voyager aussi. Était-ce cela ton objectif depuis le début, parcourir le monde ?
Street Off, c’est la continuité de ma carrière. J’ai monté cette structure pour me permettre de passer à la suite de mes envies. Dans le monde du break, j’ai tout fait. Tous les battles de break internationaux, je les ai soit gagnés, soit jugés. Donc en 2015, après avoir gagné « Undisputed », je me suis retiré des Battles et j’ai créé ma propre structure avec comme mots d’ordre « culture, partage, voyage ». J’avais envie dans un premier temps de réunir les talents de la street et les mettre en lumière. La structure me permet de beaucoup voyager aujourd’hui, de partir à la rencontre du break dans les pays peu médiatisés, de filmer, documenter et partager mes expériences. Ça me permet de faire et soutenir des événements caritatifs dans des pays d’Afrique. On travaille énormément en Afrique avec Street Off pour développer la culture. L’avenir est là-bas selon moi. 

BREAKERS : Tu donnes beaucoup de workshop dans les pays où tu vas. On voit sur tes vidéos que tu échanges beaucoup avec les locaux, les enfants, la jeunesse. Est-ce que tu penses leur apprendre plus qu’ils ne t’apprennent ?
Je dis aux danseurs dès que j’arrive dans un workshop : vous allez repartir inspirés d’ici, mais sachez que moi aussi, quand je quitterai votre pays je serai encore plus inspiré et motivé. Quand tu vois comment les gars au Niger, au Congo, au Kenya s’entraînent, t’accueillent, et sont généreux et passionnés avec toi, c’est juste incroyable. Ils vont être curieux, disponibles, l’ambiance n’a plus rien à voir avec celle qu’on a en Europe. 

BREAKERS : Tu retrouves un côté authentique là-bas ? Je me demandais tout à l’heure, à quel milieu social associer le break ? Je ne sais plus trop si le break est encore associé à une culture de rue aujourd’hui en France.
Aujourd’hui en France, le break se fait dans une salle. Et si tu n’as pas de miroirs, tu fais la demande pour avoir les miroirs. Puis après il te faut la clim… Ce n’est plus du tout comme avant. Ce que je retrouve dans les pays d’Afrique, c’est l’authenticité. C’est d’être content qu’il y ait un événement, de vivre l’événement, de vivre l’échange avec la personne qu’on a eu en face. D’être content qu’un étranger vienne dans ton pays. Tu retrouves cette authenticité dans mes voyages, dans mes vidéos et c’est ça qui me plait et qui me pousse à aller encore plus loin. J’ai été danser dans près d’une centaine de pays, et ce n’est pas fini.

BREAKERS : Une dernière question, le break aux JO, qu’en penses-tu réellement ?
Je vais te dire ce que je dis à tout le monde, j’ai hâte d’être en 2025 ! Je suis content et fier que le break soit reconnu en tant que discipline olympique, l’ascension est juste exceptionnelle. On attire une plus grande audience, on attire des marques, on va voir de plus en plus de danseurs qui vont faire carrière dans la danse. Il y a bien plus d’avantages que d’inconvénients. 

C’est le rôle des danseurs ensuite de véhiculer l’image qu’ils souhaitent véhiculer. Danser pour une grande marque et rester authentique n’est pas incompatible, tant que tu bosses de manière authentique. Tant qu’à côté tu continues de transmettre le vrai message. Là où je mets mes réserves c’est sur la manière par laquelle ça va être mis en place. Il faut que l’on se fasse respecter à la juste valeur de notre travail.

Et j’ai hâte d’être en 2025, car je vois tout l’engouement qu’il y a autour de cet événement, comme si après les JO le break allait disparaître. Car là on parle des JO, mais c’est tout ce qui se passe autour qui est important. En effet, après les jeux, nous, on sera toujours là pour faire avancer la culture. Les JO nous apportent la lumière, et en 2025, quand l’engouement se sera essoufflé, on sera tous toujours là. C’est donc à nous de nous approprier cette lumière pour se développer seuls. Voyons sur le long terme, 2030, 2040, qu’est-ce qu’on va faire d’ici là ?

BREAKERS : Est-ce qu’il y a une question qu’on ne t’a pas posé à laquelle tu aurais aimé répondre ?
Un petit mot sur le battle de Vaulx. A Vaulx tout le monde me connait car je suis champion du monde de danse, mais beaucoup n’ont jamais vu de battle ou ne savent pas ce que je fais. Alors je leur ai dit, ne bougez pas, je vais vous ramener les meilleurs danseurs mondiaux ! Et j’ai vraiment ramené les meilleurs. C’était une fierté de monter sur scène en claquette, d’organiser ça à la maison.

Interview : Lilou. @lilou_officiel

Texte par : Tom Chaix. @tomrockk

Photos par : Sebastián Esguerra. @__aburridx__

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